D’un pas décidé, l’air sûr d’elle, Hinata s’avançait vers le Château royal. Elle avait pris soin de collecter nombre d’informations importantes sur Nostrin avant de se résoudre à faire ce pas. Au village, on ne parlait que de lui et son règne actuel déchaînait un flot de sentiments contradictoires parmi le peuple magique. Certains voyaient en lui le Sauveur qui, pour sûr, saurait les protéger de toutes les menaces des peuples alentour. D’autres le considéraient comme un lâche incapable de faire changer les choses et qui se terrait dans son château, fuyant ses responsabilités. D’autres encore pensaient qu’il n’avait pas les capacités nécessaires pour gouverner et se rappelaient avec méchanceté ses précédentes erreurs, notamment son penchant pour la magie noire. Face à Armela et Celanst, qui avaient gouverné avec sagesse et intelligence, Nostrin Felix devait encore faire ses preuves même s'il était au pouvoir depuis un certains temps. Les magiciens et magiciennes avaient perdu tout sentiment d’indulgence à l’égard d’autrui, la guerre, les attaques, les avaient rendus méfiants, aigris, soupçonneux. Même elle, Hinata, lorsqu’elle était revenue au royaume magique, avait dû subir quelques réflexions acerbes. Certains avaient murmuré sur son passage que c’était un traitre à leur sang parce qu’elle avait passé plus de temps dans le camp adversaire que dans le leur, pour les aider à faire face aux évènements. D’autres lui prétendaient une alliance avec un des elfe du royaume, qu’elle n’avait jamais établie. On lui inventait une réputation au fur et à mesure qu’on la voyait si bien qu’elle se sentit vite exclue de son royaume natal.
Le changement ici était palpable. Il n’y avait plus rien dans l’air de brillant, de coloré, de joyeux comme autrefois : le ciel était sombre, l’atmosphère lourde. Les gens étaient tous soucieux, les sourcils froncés, la bouche plissée en un rictus méprisant ou soupçonneux. Même les petits enfants que Hinata avait vu jouer dans la rue semblaient ne plus savoir comment s’amuser : ils jouaient calmement aux billes dans un coin, à l’abri des regards. La joyeuse clameur des marchés s’était tue, les éclats de rire étaient devenus inexistants et, partout où elle était passée, il ne régnait qu’un silence affreusement lourd et pesant, seulement rompu par les murmures incessants des gens qui vous détaillaient, vous jugeaient, vous condamnaient sans même savoir pourquoi vous étiez là. Elle avait l’impression d’avoir pénétré dans un clan et non plus un royaume comme autrefois.
De ce fait, aller au château avait constitué pour elle une sorte de délivrance. Elle était arrivée la veille, avait dormi dans un arbre et puis le matin était parmi au village s’enquérir de nouvelles du Prince. A présent qu’elle était certaine qu’il était là, elle s’était décidée à aller le voir.
Lorsqu’elle arriva devant le premier garde celui-ci la détailla avec une telle consternation qu’elle se demanda à quoi elle pouvait bien ressembler. Elle n’avait pas remarqué que le tronc de l’arbre, contre lequel elle avait dormi, lui avait laissé quelques traces sur la joue gauche. Elle n’avait pas non plus sentie les quelques feuilles qui s’étaient amassées dans ses cheveux ça et là, coiffant sa tignasse de vert. Sa robe n’était pourtant pas déchirée quoique froissée sur le devant. En somme elle était plus ou moins présentable mis à part sa coiffure qui laissant clairement à désirer.
Elle annonça qu’elle était la fille de Yuki Tsukihiru et qu’elle était venue voir Nostrin et, de ce fait, on la laissa immédiatement entrer. Elle eut la satisfaction de constater que son prestige ici n’avait en aucune manière été amoindri.
En pénétrant dans le royaume, elle passa devant une glace et retint un cri de frayeur. Ses cheveux étaient affreux ! Elle les secoua avec vigueur pour enlever les débris végétaux qui s’y accrochaient. Ils tombèrent tous sur le plancher et le salirent mais elle n’y fit pas attention. Elle remarqua aussi les marques qu’il y avait sur sa joue et se maudit intérieurement d’avoir dormir sur cet arbre. Avant de rentrer dans la salle dans laquelle Nostrin devait l’attendre, elle se précipita dans une salle d’eau, se lava vigoureusement le visage en frottant sur ses joues pour enlever les marques et elle mouilla ses cheveux pour qu’ils arrêtent de tripler de volume.
Là ! Elle était présentable à présent. C’était bien la première fois en 150 ans qu’elle se souciait de son apparence et cette pensée ne fit que rehausser le rouge de ses joues, déjà bien présent depuis qu’elle les avait frottées.
Le garde qui l’avait accompagnée la laissa devant une grande porte en bois massif, ornée de fils d’or et lui expliqua qu’elle n’avait cas frapper dessus pour que le Prince en personne lui ordonne d’entrer.
Il la laissa donc seule et elle eut tout le loisir de s’affoler seule. Nostrin Felix. Voilà plus d’un siècle qu’elle ne l’avait pas vu. Avait-il changé ? Se souviendrait-il d’elle ? Savait-il qu’elle venait ou avait-elle été annoncée comme « une connaissance du Prince » ?
Une boule se forma dans sa gorge puis descendit jusqu’à son ventre, où elle resta. Elle se rendit compte qu’après tant d’années, même si elle l’avait oublié, la perspective de le revoir la rendait toute bizarre. Alors que pendant plus d’un siècle des kilomètres, des mers, des océans, des peuples les avaient séparés, aujourd’hui ce n’était qu’une mince porte en bois qui les empêchait de se retrouver. Elle rougit, ce qui se voyait atrocement parce que sa peau était anormalement blanche, presque transparente. Son pouls s’accéléra et elle dut faire un effort violent sur elle-même pour lever la main. Elle allait cogner à la porte, se retint. Etait-ce réellement une bonne idée d’aller le voir ? Que pourrait-il faire pour elle ? Ne lui avait-il pas déjà clairement démontré par le passé qu’elle ne lui apportait rien de bon et que l’inverse était valable aussi ? Et puis, n’était-ce pas une marque de faiblesse d’aller toquer à l’aide alors qu’elle aurait dû régler ses problèmes seule ? Tout s’embrouillait dans sa tête et elle ne semblait plus vraiment avoir pourquoi elle était venue.
En proie à toutes ses interrogations, elle resta plantée là, enracinée comme un vieil arbre, soucieuse, tergiversant sur ses choix.
- Allez Hinata, tu peux le faire se convainquit-elle finalement.
Reprenant son courage à deux mains, elle décida de chasser toute ses craintes et de s’en tenir au plan initial. Alors elle frappa, deux coups rapides mais assez violents, qu’il entendrait assurément.